La Mère Kerouadec...

Publié le par Lady Angel












" Allez, force un peu, plus qu'un tout petit effort et on est arrivés ! "
Maurice avait certes la patte leste sur le gorgeon mais il avait aussi le pied lourd sur la pédale le bougre, et quand il fallait monter la côte des Mille-Mont, le bon vieux me mettait quelques centaines de mètres dans la vue.
C'est que... on en avait fait du chemin avant d'arriver là. Passés par la corniche des Artimons et remontés par le gué du Val Cornu c'était déjà une aventure en soi. Mais qu'en plus le gaillard s'enhardisse de passer chez la mère Le Kerouadec et là, ça nous mettait l'énergie au fond des godillots autant que l'appétit au creux du ventre.
Parce qu'il n'était pas question de déroger à la coutume : passer chez la mère Kerouadec, c'était mordre la vie dans ce qu'elle a de meilleur, et quand ce n'était pas de l'amour que cette femme distribuait à grandes brassées, c'était des victuailles , quand ce n'était pas les deux.
La dame était menue mais sa table était chargée du pain cuit à l'âtre comme des galettes couverte du linge frais.

On repartait ensuite sur nos vélos de misère, riant au vent marin comme des enfants fous de liberté. Je ne connaissais pas encore Michel. J'étais toute jeune. Et Maurice, la barbe rebelle ne m'en avait encore jamais parlé.

Essouflée je remontais mes jupes jusqu'aux cuisses et enfourchait ma monture de métal. Les yeux rieurs je m'enfonçais dans la lande et les ajoncs pour rattraper mon Maurice et peut être même le dépasser.

Midi allait sonner sur la place du Kresker. Les bisquines mouillaient déjà dans le petit port, la pêche avait été bonne. Doucement je me laissais griser par les premiers embruns et le visage mouillé je souriais. Je souriais au vent, à la lumière et aux jours heureux de l'enfance.

Maurice m'avait crevée mais cette course folle m'avait grisée jusqu'à la moelle. Oubliée les corvées de la ferme, oubliés les marins et le coeur lourd qu'il laisse dans nos poitrines.

J'ai posé mon vélo dans l'herbe et me suis allongée. Maurice bourrait sa pipe et riait de bon coeur de la rougeur de mes joues.
Il a sorti le cidre, le gobelet et son grand opinel. Il a tranché le pain comme une tranche de vie.
D'un revers de main, il a repoussé la mèche de cheveux traînant sur mon visage.
Il a pointé du doigt vers les rochers et m'a dit "Regarde Yvonne, regarde ce phare. Demain, demain je t'emmènerai tout là haut, voir le gardien de lumière. "

"Yvonne.....Yvonne....."

Il reprit une goulée, une bouffée de tabac et s'endormit à son tour. Michel attendrait bien demain.

Publié dans Entre Soleils

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
je feuillette .... que du bonheur icimerci à Syl : )Bonne journée
Répondre
M
les photos sont très réussies bravo a+
Répondre
C
Tout simplement exquis Lady !!
Répondre
J
bonsoir Lady , je suis fatigué par ton escapade en vélo !! les feuilles sont celles d'arbres dans la nature , mais pas de rosiers , et moi pour les conseils de culture , tu ne frappes pas a la bonne porte . bonne soirée Nath et gros bisous . jean-pierre
Répondre
M
ah ah, de la lecture ! faut que je fouille ce blog....merci pour tes petits mots !
Répondre